Burn-out, déficit de l’attention, perte de l’intelligence sociale et émotionnelle… Comment réduire les risques psycho-sociaux grâce à la méditation de pleine conscience ?
Rencontre avec Stéphane Leluc, Président Fondateur de Kalapa Leadership Academy. Pratiquant la méditation de pleine conscience à titre personnel depuis plus de 20 ans, il est aussi formateur (on dit aussi instructeur) dans ce domaine. Il accompagne les dirigeants, managers et collaborateurs pour mettre en place une approche qui permet de combiner bien-être, performance individuelle et intelligence collective grâce à la mindfulness. Je voulais comprendre pourquoi cette pratique est de plus en plus utilisée dans les entreprises.
Mindfulness ou médiation de pleine conscience
Nicolas Constans : On entend beaucoup parler de « mindfulness » ou de « méditation de pleine conscience », mais qu’est-ce que c’est au juste ?
Stéphane Leluc : C’est une pratique de l’attention. Elle s’appuie sur la capacité de chaque être humain à poser son esprit sur un objet. Concrètement, ça consiste à centrer son attention sur l’ici et maintenant : en nous et autour de nous.
NC : Concrètement, en quoi consiste cette pratique de la méditation de pleine conscience ?
SL : Cette pratique consiste à « porter son attention intentionnellement sur l’instant présent sans juger ». L’idée qui se cache derrière cette formule est la suivante : il s’agit de contrôler notre attention, de la mettre sur quelque chose avec intention. Ce quelque chose c’est l’instant présent – ce qui se passe en nous : corps, émotions, esprit mais aussi autour de nous – dans l’instant présent et sans juger. On va se concentrer sur notre souffle, inspirations, expirations… On se centre sur soi-même. Et puis rapidement, les habitudes reprennent le dessus, notre esprit s’égare dans d’autres pensées… Pas de panique : on reconnaît avec bienveillance que notre esprit a quitté le souffle, on lâche prise et on se reconnecte sur la respiration, sur l’instant présent, sur la réalité.
S’ancrer dans la réalité
NC : Dans la vie de tous les jours, nous sommes dans la réalité, non ?
SL : Nous le sommes de différentes façons. Selon les neurosciences, on a 2 façons d’être en contact avec la réalité :
- Grâce au réseau de l’expérience directe : on expérimente la réalité avec nos 5 sens.
- Grâce au réseau narratif : c’est l’interprétation que l’on fait de la réalité. J’aime/je n’aime pas, c’est bon pour moi, ça me fait peur, ça ne m’intéresse pas, etc. Ça englobe notre capacité à nous projeter, à construire une histoire du moi et notre interprétation de l’histoire du monde.
La pleine conscience, c’est vivre l’instant présent dans le réseau de l’expérience directe.
Confiance, compassion, luminosité, contentement, joie, sont les qualités naturelles de l’esprit. Il faut un ancrage en profondeur pour les retrouver. C’est ce qu’apporte la méditation de pleine conscience.
4 éléments déclencheurs
NC : La démarche a l’air plutôt personnelle… Comment la méditation en est arrivée à se développer en entreprise ?
SL : C’est tout simple. Dans la vie professionnelle actuelle, nous sommes face à différentes problématiques. Ce sont ces déclencheurs qui ont amené les DRH à se pencher sur le sujet :
- Le stress
- L’attention
- L’intelligence émotionnelle
- L’intelligence sociale
Le stress
La prévention des risques psycho-sociaux, la pression sociale, les burn-out, tous ces éléments ont interpellé les DRH. Il faut être lucide : les conditions de travail ne vont pas s’améliorer. On est sur une accélération du rythme, une surcharge cognitive et une complexification* croissante. Et qu’on le veuille ou non, on ne peut pas échapper à ça. On est dans un corpus très complexe organisationnellement, technologiquement, juridiquement…
On est environnés par des outils qui satisfont nos besoins de façon immédiate. C’est un système qui porte l’immédiateté. Et la surcharge cognitive est aussi portée par le système. La question à laquelle les DRH sont confrontées est la suivante : comment faire par rapport à ce système qui porte le stress, pour permettre à nos collaborateurs de travailler avec ce stress ?
* Complexe et compliqué, 2 notions différentes. Compliqué = c’est difficile, mais il existe des plans et des solutions. Complexe = il n’existe aucun plan ou carte : l’humain est complexe.
Le déficit de l’attention
La problématique d’attention est le deuxième élément déclencheur : aujourd’hui, c’est ma thématique qui fonctionne le mieux avec l’intelligence émotionnelle. Les gens pètent les plombs, ils sont tellement sollicités… Dans les grands groupes, ils reçoivent en moyenne 150 mails par jour, ils ont des skype d’entreprise et il y a cette culture de disponibilité permanente…
Beaucoup de mes clients sont des femmes. Ce sont de super collaboratrices, impliquées et efficaces. Et après leur journée de folie, elles rentrent à la maison. Elles veulent être elles meilleures mères du monde donc elles sont encore en disponibilité permanente. J’ai eu une DRH qui m’a dit « je prends 6 mois de congés sabbatique, je vais faire une formation en décoration d’intérieur. Je n’ai pas envie d’en faire mon job, pas du tout. Mais pendant 6 mois, j’ai envie de poser mon esprit sur une seule chose et pas 200… ».
Impact sur l’intelligence émotionnelle
Notre vie, et la crise du Coronavirus est là pour le montrer, est rythmée par une succession de crises et de tempêtes qui se succèdent de plus en plus vite. Ça amène beaucoup de peur et beaucoup d’agressivité. Il y a 10 ans, on savait les gérer. Toute cette accélération du rythme a épuisé notre cortex pré-frontal (qui régule nos émotions). Si on est détendu, on sait gérer. Sinon, on pète un câble.
Dans une entreprise du CAC 40, les dirigeants m’ont raconté que lors de leurs dernières réunions de direction, les cadres en sont venus aux mains. Ils se sont battus ! On n’a jamais appris aux gens à gérer leurs émotions, ce que c’est que des émotions. Leur cortex pré-frontal étant extrêmement fragilisé par la sur-sollicitation, il ne joue plus son rôle de régulateur.
Retrouver notre intelligence sociale/collective
NC : L’intelligence sociale ou collective, qu’est-ce que c’est ?
SL : Principalement 2 choses :
- Il s’agit tout d’abord de notre empathie. Et l’empathie, c’est ce qui nous permet de voir, chez notre interlocuteur, quelles sont ses émotions, s’il comprend, s’il est d’accord ou pas… L’empathie, c’est la capacité de ressentir ce que ressentent les autres.
- C’est aussi la bienveillance : la capacité de prendre soin. Les neurosciences disent que chaque être humain possède ces deux qualités de façon naturelle dans son patrimoine génétique et peut y accéder à n’importe quel moment. Sauf quand le cerveau reptilien prend le dessus, car à ce moment-là, ce sont les mécanismes de défense qui sont activés… Aujourd’hui, cela fait partie des nouveaux enjeux du management : les collaborateurs réclament un management empathique et bienveillant, capable de détecter les signaux faibles.
Sensibiliser et former à la médiation en entreprise
NC : Pour pratiquer la méditation de pleine conscience en entreprise, quel est le programme ?
SL : C’est une approche en deux temps. D’abord sensibiliser, ce qui permet de voir s’il y a une appétence des équipes pour la pratique de la médiation. Ensuite former, pour accompagner ceux qui le souhaitent dans la pratique de la méditation.
- Sensibiliser : par le biais de conférences et d’ateliers. Je réponds aux questions principales : qu’est ce que c’est que la médiation, comment elle se pratique et quels sont les bénéfices possibles ? L’idée est d’expliquer clairement quels vont être les bénéfices d’une pratique dans la vie quotidienne. Ça permet aux entreprises de valider si leurs salariés ont de l’intérêt pour ce sujet.
- Former : en 5 à 10 sessions de groupe. Pour établir une pratique régulière, il faut en général 3 à 4 semaines. Jon Kabat-Zinn (qui a grandement contribué à la diffusion de cette pratique) a montré qu’au bout de 4 semaines, pour 70% des pratiquants qui ont médité 10 mn par jour, il y a des transformations très nettes en matière de gestion du stress mais aussi en termes d’augmentation de la présence et de l’attention. Je le vois dans mes formations, il y a des gens qui rentrent dedans à fond : c’est une énorme découverte pour eux ! On pratique ensemble et on échange les best practices. Les transformations comportementales sont toujours plus faciles en groupe que seul. A chaque session, on choisit une thématique et un résultat attendu (stress, bienveillance, joie, leadership, engagement, rapport au temps).
Pratiquer seul ou accompagné
NC : On peut pratiquer seul ?
SL : Absolument ! On peut la faire de manière individuelle ou de manière guidée. Il y a souvent des instructeurs ou des enseignants qui peuvent donner des pistes ou une carte routière pour avancer dans la méditation de pleine conscience :
- Comment on s’y prend ?
- Quelles questions se poser ?
- Ce que l’on peut explorer
- Ce que l’on peut découvrir
Les accompagnements sont intéressants pour voir comment cheminer, mais c’est l’expérience personnelle qui va amener de la profondeur à l’expérience de la méditation elle-même.
Il ne faut pas prendre ces pistes pour argent comptant, ce qui compte c’est qu’on les découvre nous-mêmes.
Méditer c’est être ouvert à ce qui se présente
La méditation est une façon de comprendre notre potentiel, comment l’exprimer et comprendre ce qui l’affecte. Elle permet une connexion à la réalité et non une déconnexion – on ne s’extraie pas du monde, au contraire, on est encore plus présent.
Méditer c’est être ouvert à tout ce qui se présente.
N’importe qui peut pratiquer. La mindfulness, ça ne veut pas dire qu’il faut s’envelopper d’un drap couleur safran et faire sonner des clochettes ! Le mot-clé c’est la sincérité.
Vous êtes intéressé par le sujet ? Le coaching peut vous accompagner. N’hésitez pas à me contacter !